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Attaque contre Nord Stream : qui a saboté notre approvisionnement en gaz ?

« Qui a fait sauter le gazoduc Nord Stream ? » Raoul Hedebouw n'a pas eu besoin de plus de mots pour provoquer la colère des parlementaires de tous les partis traditionnels, majorité comme opposition. Il y a des questions qui, apparemment, ne devraient pas être posées. Il s'agit pourtant d'un acte de terrorisme international dont les citoyens européens sont les victimes.

Lundi 10 juillet 2023

Explosion de Nord Stream. Image prise par les gardes côtes suédois.

Le 26 septembre 2022, tôt le matin, une explosion a détruit le gazoduc Nord Stream, situé dans la mer Baltique. Il s'agit de l'un des événements les plus curieux s’étant produits en marge de l'invasion russe de l’Ukraine. C’est un acte terroriste international sans précédent. Les hypothèses vont bon train concernant ce sabotage, mais nous ignorons toujours qui en est le responsable.

« Thank you, USA. » C'est l'un des 500 millions de tweets qui ont été envoyés le 27 septembre 2022. Ces trois mots étaient accompagnés de l’image d'une fuite de gaz apparaissant à la surface de la mer. Le tweet de Radek Sikorski a suscité un scandale dans le monde entier.

Car Sikorski n'est pas le premier venu. Il est né avec la citoyenneté britannique, a participé à plusieurs think-tanks américains et est devenu ministre des Affaires étrangères de Pologne avant d’occuper un poste de député européen. L'homme est également membre du comité de direction du groupe Bilderberg, un club de super-riches dont l'objectif est de renforcer les relations entre l'Europe et les États-Unis.

Le message que Sikorski souhaitait faire passer était étonnant. Un jour plus tôt, l'image de la fuite de gaz à la surface de la mer Baltique était apparue dans les médias comme la preuve que les gazoducs Nord Stream avaient été endommagés. Sikorski, un initié, affirmait-il réellement que les États-Unis avaient commis cet acte de sabotage ?

Terrorisme

À ce jour, il y a peu de certitudes concernant les explosions qui ont détruit les gazoducs Nord Stream. Mais ce que l’on sait à ce sujet est interpellant. Il ne s'agit certainement pas d'un accident et les gazoducs ont été détruits à dessein. Des quantités gigantesques de méthane ont été libérées dans l'atmosphère, provoquant une catastrophe environnementale hors du commun. Il s'agit de l’un des exemples de terrorisme environnemental et économique les plus marquants de l'histoire. 

L'approvisionnement énergétique de l'Europe a été compromis. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a tweeté le même jour que toute perturbation délibérée de l'infrastructure énergétique européenne était inacceptable et entraînerait la réponse la plus ferme possible : « Il est de la plus haute importance que ces incidents fassent l'objet d'une enquête et que toute la lumière soit faite sur cette affaire. »

Connecter l’Europe au gaz russe

Nord Stream 1 et 2 sont des gazoducs qui reposent au fond de la mer Baltique et qui servent à acheminer du gaz de la Russie vers l'Allemagne. Ils ont été financés par un consortium d'entreprises russes, allemandes, néerlandaises et françaises. L'importance politique de ces gazoducs sous-marins est considérable. Les gazoducs terrestres passent par l'Ukraine ou la Pologne, des pays qui ont également leurs propres intérêts. 

La décision de construire ces gazoducs sous-marins a été prise avant la guerre qui se déroule actuellement sur le sol ukrainien. À l'époque, l'Europe considérait encore la Russie comme une source respectable pour le gaz européen, et sa confiance en l'Ukraine n'était pas particulièrement grande.

Nord Stream 1 a été mis en service en 2011. La société qui exploite ce gazoduc est détenue à 51 % par la société russe Gazprom, mais elle compte également la société néerlandaise Gasunie et Engie parmi ses actionnaires. En se connectant à Nord Stream 1, l'Allemagne et le reste de l'Europe étaient directement reliés au gaz russe, sans passer par un autre pays.

L'année précédant la guerre, 40 % du gaz européen provenait de Russie et le gazoduc Nord Stream 1 constituait une ligne d'approvisionnement majeure, acheminant un tiers de ce gaz russe destiné à l’Europe. Lorsqu’en juin 2022, les Russes ont réduit l’approvisionnement en gaz via le gazoduc en raison de travaux de maintenance, cela a entraîné de vives protestations politiques en Europe.

En 2018 ont commencé les travaux de construction d'un deuxième gazoduc selon le même tracé, Nord Stream 2. Ces travaux ont été réalisés par une filiale de Gazprom, avec le financement d'entreprises européennes du secteur de l'énergie, dont Engie. Un rapport du Parlement européen de 2021 prévoyait que le gazoduc Nord Stream 2 pourrait réduire d'un quart les prix du gaz en Europe en raison du renforcement de la capacité, mais aussi parce que les gazoducs traversant le territoire ukrainien nécessitaient des travaux de maintenance coûteux, et étaient vulnérables à l'agitation politique. 

Ce même rapport estimait qu'il était peu probable que le nouveau gazoduc permette à la Russie de faire pression sur l'Europe, étant donné que sa dépendance vis-à-vis de l'Europe était plus grande que l'inverse. En outre, toujours selon ce rapport, cette dépendance à l'égard du gaz russe était relative en raison des nombreuses interconnexions entre les différents gazoducs et voies d'approvisionnement. On estimait donc qu’il existait des alternatives en la matière. 

L’enthousiasme n’est pas unanime

La construction du gazoduc n’a pas fait que des heureux. Le même rapport désignait l'Ukraine comme principale victime du projet de gazoduc, car « l'Ukraine ne sera plus en mesure de perturber les exportations de gaz russe, alors qu’il s’agit d’un moyen de dissuasion important contre toute nouvelle agression de la part de la Russie. » De plus, le pays allait perdre 2 milliards de dollars par an en droits de transit.

Les États-Unis se sont également toujours opposés à ce projet. Le président américain Trump a adopté dès 2017 des sanctions à l’encontre des entreprises qui collaboraient au projet, ce qui a suscité de nombreuses protestations politiques de la part de l'Europe

Sous l'actuel président étasunien, Joe Biden, l'hostilité à l'égard du projet Nord Stream 2 est allée crescendo. Lors de sa nomination, en 2021, le secrétaire d’État Anthony Blinken a déclaré qu’il était déterminé à faire tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher l'achèvement de Nord Stream 2. « Toute entité impliquée dans le gazoduc Nord Stream 2 risque des sanctions américaines et devrait immédiatement abandonner le projet », a-t-il déclaré. Juste avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le président Biden a affirmé mot pour mot que si la Russie passait réellement à l’attaque, « il n'y aura plus de Nord Stream 2. Nous allons y mettre un terme. »

Les raisons pouvant expliquer l'attitude hostile des États-Unis à l'égard de ce projet sont à la fois politiques et économiques. La Stratégie de défense nationale de 2018 fait de la concurrence avec la Russie une priorité en raison de la menace que ce pays fait peser sur la sécurité et la prospérité des États-Unis. Une étude que le Pentagone a commandée à la RAND Corporation sur des stratégies efficaces permettant de lutter contre la Russie a établi que le pays était vulnérable sur le plan de la politique énergétique, et qu’une première étape consisterait à arrêter Nord Stream 2.

Le gaz étasunien pourrait immédiatement être proposé comme alternative au gaz russe. Le secrétaire étasunien à l'énergie a même affirmé que les États-Unis allaient à nouveau libérer le continent européen, 75 ans après sa libération des nazis. Il pourrait alors venir à Bruxelles pour vanter les mérites du GNL étasunien comme « gaz de la liberté ».

Il n'est donc pas surprenant qu'après le sabotage du gazoduc Nord Stream 2, Anthony Blinken ait laconiquement déclaré qu’au final, il s'agissait également d'une formidable opportunité. « Il s'agit d'une occasion exceptionnelle de supprimer une fois pour toutes la dépendance à l'égard de l'énergie russe. »

Mais qui est le responsable ?

Personne ne doute que les deux gazoducs Nord Stream ont été sabotés le 26 septembre 2022. « Par qui ? » Telle est la question. Les États-Unis sont un suspect logique. Ils avaient un mobile et ont déjà montré dans l'histoire récente qu'ils n'hésitent pas frapper où et quand ils le souhaitent. Et les indices ne se limitent pas au tweet de Sikorski. Le journaliste américain vedette Seymour Hersch affirme même qu'un informateur lui a raconté comment la Maison-Blanche elle-même avait planifié l'opération.

Les premiers jours qui ont suivi l’attaque, toutefois, nombreux sont ceux qui ont pointé Moscou du doigt. Des navires russes auraient également effectué des manœuvres suspectes en mer Baltique, près du lieu des explosions. La Russie dispose certainement des moyens nécessaires pour saboter les gazoducs, mais il lui manque un mobile. De plus, il existe peu de preuves d'une opération russe.

Récemment, de plus en plus de personnes désignent l'Ukraine comme suspecte de l'attaque. Les services de renseignement néerlandais auraient eu connaissance des projets ukrainiens de sabotage des gazoducs dès juin 2022, et la CIA aurait même demandé à l'Ukraine de ne pas les mettre en œuvre.

Ils auraient malgré tout été mis à exécution quelques mois plus tard par un groupe d'Ukrainiens, qui aurait apporté les explosifs sur le site à bord d'un voilier. Le projet aurait été mis en œuvre dans le dos du président Zelensky, mais à la connaissance du chef d'état-major de l'armée, Valeri Zaloujny. Le voilier en question, l’Andromeda, a été retrouvé, et des traces d’explosifs ont été décelées à son bord, mais il semble peu probable qu’un si petit bateau ait été utilisé pour une telle opération. Et même les spécialistes qui jugent ce point de vue crédible sont d'accord : il s'agit d'une opération gigantesque qui n'aurait aucune chance de réussir sans au moins le soutien d'une des grandes puissances.

La Russie a également accusé Londres du sabotage. Les théories sont donc allées bon train. Mais jusqu'à présent, l'identité de l'auteur de l'attaque reste inconnue.

Ce qui est frappant, cependant, c'est le peu d'enthousiasme dont il est fait preuve pour découvrir la vérité. Aucune commission d'enquête internationale n’a été créée et les propositions faites en ce sens au Conseil de sécurité des Nations unies ont été rejetées, malgré le soutien de la Chine et du Brésil. La Suède, le Danemark et l'Allemagne n'ont mené que des enquêtes limitées qui n'ont pas pas pu apporter de conclusion jusqu’à présent. Malgré les déclarations fermes d'Ursula von der Leyen affirmant qu'elle voulait connaître les coupables et qu'elle riposterait, l'Europe reste muette sur toute cette affaire et il semble que ses dirigeants préfèrent oublier tout cela le plus vite possible.

La question est de savoir si et quand nous obtiendrons une réponse claire quant à l’identité de l’auteur du sabotage de ces gazoducs. Quoi qu'il en soit, il s’agit d’un événement important dans le déroulement de la guerre. Il est impossible d'en faire un bilan équilibré sans analyser ce terrorisme économique en profondeur. Raoul Hedebouw a donc eu raison de poser ces questions au Parlement belge. Le fait que les partis au pouvoir l'aient hué et que la ministre belge des Affaires étrangères Hadja Lahbib se soit contentée d'une réponse vide de sens montre qu'ils préfèrent que la marmite reste couverte.