Alexander De Croo oublie le salaire de nos héros ? Nous pas !
Les syndicats se battent depuis longtemps pour un salaire minimum de 14 euros de l’heure. Une revendication légitime, que le PTB soutient pleinement. Une grande partie de la classe des travailleurs doit encore s’en sortir avec un salaire qui ne lui permet pas de tenir jusqu’à la fin du mois. Sur qui pouvons-nous compter pour renverser la vapeur ?
Quel est le point commun entre les membres du personnel soignant, du personnel de nettoyage, des magasins, les agents de sécurité, les ouvriers de l’industrie alimentaire, et les gardiennes d’enfants ? Outre le fait que nous les comptons toutes et tous parmi les héros de la crise du coronavirus, leurs revenus sont largement inférieurs au salaire mensuel moyen en Belgique.
Pas d’argent pour des vacances
Mieke exerce le métier d’aide-ménagère, elle gagne 12,06 euros de l’heure. Brut. Le travail à temps partiel étant la norme dans le secteur, elle gagne environ 800 à 900 euros nets par mois. Pour obtenir ce salaire, elle doit faire tout un ménage en quatre heures, et encore faire du repassage si possible. Tout doit briller bien sûr. Mieke aime faire son travail, mais en fin de journée, elle est souvent épuisée. Malgré tout, elle fait régulièrement des heures supplémentaires, pour gagner un peu plus d’argent. « Mes collègues et moi, nous travaillons dur. Les gens ne voient pas toujours les choses ainsi, mais le nettoyage est un métier pénible. C’est pour ça que nous avons aussi fait campagne avec le syndicat pour un salaire minimum de 14 euros de l’heure. Je ne pense pas que ce soit trop demander. » Problèmes physiques, clients exigeants, pression de la société de nettoyage pour faire plus en moins de temps... toutes les aide-ménagères y sont confrontées.
Je demande à Mieke si elle sait ce que le « Belge moyen » gagne. 2 236 euros nets. « Verse ça tout de suite sur mon compte », plaisante Mieke. Mais, évidemment, tout le monde ne gagne pas autant. Le plus grand groupe de salariés gagne entre 1 650 et 2 000 euros nets. En-dessous, il y a une couche de travailleurs et travailleuses pauvres. Ils ont un emploi, mais ils ne tiennent souvent pas jusqu’à la fin du mois. En 2019, environ un quart des Belges n’avaient pas les moyens de partir une semaine en vacances en-dehors de chez eux ou étaient financièrement incapables de faire face à une dépense imprévue. Dans cette classe de revenus inférieurs, on retrouve beaucoup plus de femmes. Les parents célibataires rencontrent le plus de difficultés.
Compter sur le libre marché ?
C’est une drôle de contradiction : l’utilité sociale des travailleurs à bas salaire est énorme, nous avons encore pu le constater ces derniers mois. Sans eux, sans elles, pas de soins, pas de ramassage des déchets, pas de production ni de transport, des rayons vides dans les supermarchés. Sans elles, sans eux, nous n’aurions pas survécu au confinement. Pourtant, ils ne sont pas suffisamment payés, pas assez reconnus et souvent considérés à tort comme non qualifiés. La production capitaliste a besoin de leur travail pour fonctionner, « mais les capitalistes veulent les payer le moins possible, et si possible ne rien leur payer du tout... ».
À la lumière de ce constat, il est intéressant de réfléchir aux salaires dans la société post-coronavirus. Sur qui pouvons-nous compter pour renverser la vapeur, pour faire en sorte que la classe des travailleurs obtienne ce qui lui revient ?
Sur le libre marché peut-être ? Le principe inébranlable qui garantit que tout ce qui nous entoure a un prix, y compris notre force de travail ? Non. Nous ne devons pas compter là-dessus. Ce principe n’a aucune valeur quand il s’agit de salaires. Au cours des dix dernières années, ceux qui détiennent le pouvoir ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour compresser les salaires.
Céder aux libéraux
Le gouvernement Michel a, une fois de plus, fouillé dans son arsenal, et brandi l’arme du saut d’index. 2 % de pouvoir d’achat en moins tout au long de notre carrière. En plus de cela, la loi sur la norme salariale de 1996 a été renforcée, et les négociations salariales entre les syndicats et les patrons ont été étranglées. On disait qu’on « taillait pour faire fleurir », mais le printemps n’est jamais arrivé. Au contraire, toutes ces mesures ont provoqué un transfert du travail vers le capital. Neuf milliards d’euros de la richesse produite chaque année par les travailleurs ne sont pas revenus à ces derniers, mais ont été directement encaissés dans les bénéfices des entreprises.
Peut-on compter sur le nouveau gouvernement ? Est-il sensible au changement ou continue-t-il sur la voie de l’austérité ? Pendant la campagne, il semblait que le sp.a, le PS et Groen désiraient s’attaquer à la nouvelle loi, stricte, sur la norme salariale. Que le salaire minimum serait relevé à 14 euros de l’heure. Pourtant, aucun de ces éléments n’est mentionné dans la note de coalition de la Vivaldi. Une concession aux libéraux qui veulent préserver à tout prix l’héritage de la Suédoise.
Avoir confiance dans la force collective
Les travailleurs et leurs syndicats ont organisé des actions à maintes reprises pour les 14 euros de l’heure. Après avoir pris part à la résistance sociale contre le gouvernement Michel, ils comprennent très bien qu’il faut continuer à se mobiliser pour une revendication aussi importante. Il ne faut pas abandonner. Comme Adriana Alvarez à New York. Adriana est une jeune mère de 27 ans, qui travaille au McDonald’s. Elle est la figure de proue du mouvement de lutte « Fight for 15 », pour le salaire minimum à 15 dollars de l’heure. En 5 ans, elle a réussi à faire passer son salaire horaire de 7,25 à 13,75 dollars. Sept États américains se sont engagés à doubler le salaire minimum, pour le porter à 15 dollars de l’heure. Plus près de chez nous, les syndicats néerlandais, autrichiens et allemands ont obtenu gain de cause en menant des actions. Ils ont réclamé une augmentation salariale et l’ont obtenue. Et n’oublions pas le « fonds blouses blanches ». Celui-ci a été arraché grâce aux actions continues des blouses blanches, et au soutien du PTB au Parlement.
C’est ainsi que nous obtenons des victoires de classe. En ayant confiance en notre propre force collective. Parce que rien ne nous sera donné. L’augmentation salariale, un salaire minimum de 14 euros de l’heure... On ne nous en fera pas cadeau. Pour l’obtenir, les gens doivent entrer en mouvement. Dans son nouveau livre Ils nous ont oubliés, Peter Mertens décrit de façon remarquable comment cette fierté est sortie de sa lampe, et que le temps de la résignation silencieuse est révolu : « Ce ne sont pas les marchés des actions qui ont fait tourner le monde, ce n’est pas la bourse qui a fait fonctionner la société, ce n’est pas la classe des beaux parleurs qui est allée au feu. It is us. C’est nous. »