Discours du 1er Mai de Raoul Hedebouw : « Bloquons les prix, pas les salaires »
Retrouvez ici le discours du président du PTB Raoul Hedebouw à l'occasion de la Fête du Travail de cette année.
Jessica, travailleuse à l'aéroport, me raconte qu’elle a dormi dans sa voiture pour épargner du carburant. Entendre que des travailleurs dorment dans leur voiture car ils ne savent plus payer leur essence pour aller au boulot : qui aurait cru entendre de telles histoires dans un des pays les plus riches du monde ? Et pourtant, elles sont vraies. Et Jessica n’est pas seule. Il y a aujourd’hui des milliers de Jessica.
Nora est maman célibataire, elle me dit qu’elle ne chauffe plus la maison la semaine où elle n’a pas les enfants. Il y a des dizaines de milliers de Nora. Qui aurait cru entendre de telles histoires dans un des pays les plus riches du monde ? Et pourtant elles sont vraies.
Partout, d’AGC Moustier à Namur jusque ArcelorMittal à Gand en passant par Audi à Bruxelles, tout le monde vient me voir en me disant : « Raoul, on a déjà eu des moments difficiles, mais là on en peut plus, on ne va pas tenir. Il faut agir vite sinon on va plonger. »
La vie devient de plus en plus chère. Et que fait le gouvernement ? Il met sur pied un groupe d’experts. Un groupe d’experts « pouvoir d’achat et compétitivité ». Pour bien comprendre l’impact social et économique de la crise. Je n’invente rien. C’est ce qui arrive quand on a des politiciens qui vivent dans leur bulle, qui ne savent pas ce qui vit sur le terrain. Ils ne le sentent pas, eux, le prix à la pompe et les factures d’énergie qui explosent. Ils ont besoin d’experts pour savoir combien la vie est devenue chère. Vous vous imaginez ?
Stop à la spéculation, bloquons les prix
Certains, comme Joe Biden ou Alexander De Croo nous diront que c’est à cause de la guerre menée par la Russie. De toute façon, ce n’est jamais leur faute, c’est toujours celle de quelqu’un d’autre : des Russes, des Chinois, des martiens ou des réfugiés. Pourtant, les prix étaient déjà en train de monter avant la guerre en Ukraine. Pour le moment, il n’y a quasiment pas de problème d’approvisionnement. Non, la principale raison pour laquelle les prix sont élevés c’est la spéculation, la soif de profit, le capitalisme. Même le Premier ministre De Croo est obligé d’avouer que « le marché est devenu irrationnel », qu’il est devenu fou. Si même des libéraux doivent le reconnaître… Mais, évidemment, ils se limitent au constat.
La réalité, c’est qu’il y a des géants économiques qui profitent de la guerre pour se faire un max de fric sur notre dos. Chaque semaine, quand vous allez à la pompe, vous les rencontrez à l’autre bout du tuyau. Ils nous pompent le fric comme jamais. Chaque fois qu’on appuie sur la pompe, il y a des millions d’euros qui rentrent dans leurs caisses. Ces profiteurs de guerre, ce sont les multinationales du pétrole et du gaz. Total a fait un bénéfice record de 14 milliards d’euros l'année dernière. Ils viennent d’annoncer avant-hier un bénéfice de 5 milliards rien que pour les trois premiers mois de 2022. Leurs bénéfices explosent comme jamais. Pendant que nous, on crève.
On voit la même chose pour ce qu’on met dans nos caddies et nos assiettes, pour nos factures d'électricité ou de gaz. Dans tous ces secteurs, des géants bénéficient de situation de quasi-monopole, ils contrôlent la majorité du marché et fixent librement les prix.
Mais tout cela ne pourrait ne pourrait fonctionner sans avoir des complices pour le braquage. Et ces complices, ce sont les hommes politiques des partis traditionnels qui ont laissé faire le marché depuis tant d’années. Et aujourd’hui encore, malgré les beaux discours, ils laissent faire. Enfin non, ce n’est pas vrai, ils avaient décidé un truc quand même. Je ne sais pas si vous vous rappelez ? Le 14 mars dernier, ils ont décidé de réduire le montant des accises de 17 cents au litre… 17 centimes. 4 jours plus tard, la hausse des prix avait déjà tout bouffé ! De qui se moquent-ils ?
Non, ce qu’il faut, c’est intervenir stratégiquement et fermement pour rompre avec les mécanismes du marché qui ne peuvent résoudre la crise des prix énergétiques. C’est la raison pour laquelle, en ce 1er Mai, nous lançons avec le PTB notre proposition pour bloquer les prix des produits énergétiques et des biens de première nécessité comme la farine, la semoule, les pâtes ou encore les pommes de terre. Bloquer les prix, pour protéger tous les travailleurs et les travailleuses. Ce n’est pas à eux de payer la crise. Qu’on fasse payer les profiteurs de guerre !
Et qu’on ne vienne pas nous dire que ce n’est pas possible.
Pour l’essence et le diesel, nous proposons de réduire à zéro les accises, ce qui amènerait les carburants au prix maximum de 1,40€/L.
Pour ce qui est du gaz, nous proposons de mettre fin à tous les mécanismes de libéralisation du secteur qui ont mené à ce que 80 % du gaz soit vendu sur les marchés boursiers et revenir à des contrats de long-terme d'État à État avec des prix fixes pour neutraliser la spéculation.
Pour l’électricité, nous proposons d’abroger le système marché européen de fixation du prix qui consiste à calculer le prix de l’électricité sur base de la centrale la plus chère.
Cela permettrait de contrôler les prix de l’énergie, le problème le plus urgent actuellement. Mais ce n’est pas tout.
Beaucoup de jeunes, y compris avec un travail, ont aujourd’hui du mal à trouver un logement. Ce n’est pas normal. Commençons par bloquer les augmentations des loyers et des assurances.
Et puis, bloquons le prix des denrées alimentaires de base. Le contrôle des prix et l’imposition de prix maximum pour des produits de base ont existé dans le passé. C’était le cas avant avec le pain notamment, on peut réintroduire le mécanisme. Cela peut se faire ici et aujourd’hui.
C’est aux spéculateurs et aux profiteurs de guerre de payer la crise
Ce blocage des prix peut être financé si on fait payer les profiteurs de guerre, si on introduit une contribution spéciale sur les surprofits des multinationales de l’énergie, de l’agro-business, des banques et des assurances.
Nous défendons aussi depuis 15 ans l’instauration d’une taxe des millionnaires. Depuis tout ce temps, les inégalités ne font qu’augmenter. Des chercheurs britanniques viennent encore de calculer que le 1% des plus riches en Belgique détiennent à eux seuls un quart de toutes les richesses du pays. 664 milliards d’euros à eux tout seul.
Alors, j’entends maintenant des voix ce 1er Mai qui appellent à « aller chercher l’argent là où il se trouve ». Paul Magnette, Conner Rousseau, Kristof Calvo, Joachim Coens : tout d’un coup ils se réveillent tous. Ils sentent notre souffle chaud dans leur cou. Tant mieux. Le PTB fait ce que les partis de la gauche traditionnelle n’ont pas réussi à faire depuis 20 ans, c’est-à-dire tirer les discours politiques à nouveau vers la gauche.
Aller chercher l’argent là où il est, ce n’est pas du populisme, ce n’est pas un slogan M. De Croo. C’est une question de choix politique. C’est la question concrète de savoir dans quelle poche vous allez aller chercher l’argent. À nouveau celle des travailleurs et des travailleuses ou enfin celle du 1% le plus riche ?
Mais nous allons devoir continuer à mettre la pression les amis. Car il ne s’agit pour l’instant que de discours. L’année passée déjà, au 1er Mai, les socialistes avaient menacé de bloquer les dividendes si le blocage salarial persistait. Et qu'a-t-on vu ? Dès le 2 mai la promesse était oubliée, les salaires sont restés bloqués pour les travailleurs et les dividendes ont coulé à flot pour les actionnaires. Nous n’accepterons pas de nouvelles fausses promesses.
Le 1er Mai est depuis 136 ans une journée de lutte pour la classe travailleuse au niveau mondial. Une journée où le monde du travail met en avant offensivement ses revendications et se mobilise pour de nouvelles conquêtes. Nous disons aujourd’hui qu’il faut bloquer les prix des biens de premières nécessité et faire payer les profiteurs de guerre pour protéger l’ensemble de la classe travailleuse.
Le 1er Mai est une journée de la classe travailleuse. Et je tiens à le dire, ce n’est pas la journée du Mouvement des Riches qui avec son président Georges-Louis Bouchez essaie aujourd’hui de se faire populaire alors qu’il défend en réalité les grands actionnaires et s’oppose à toute avancée des travailleurs. Ce n’est pas la journée du Vlaams Belang qui se présente comme « vlaams en sociaal », comme « vakbond van de gewoon vlaming » (syndicat du Flamand moyen) mais s’oppose à tout impôt sur la fortune, qui divise les travailleurs et veut affaiblir leurs organisations, les syndicats.
Libérons nos salaires
Il y a le problème des prix et du pognon qui sort de notre portefeuille. Mais il y a aussi le problème de ce qui rentre dans notre portefeuille. Je veux parler évidemment des salaires de la classe travailleuse. Le patronat s’oppose à toute augmentation des salaires. Lui, il s’en fout monsieur Timmermans, le patron des patrons de la FEB, il n’a pas de problème de fin de mois. D’ailleurs il n’y a pas que lui qui s’en fout, tous ces collègues big boss des grandes entreprises en Belgique ont reçu une hausse de salaire de 14 % en moyenne l’année passée. Vous vous rendez compte ? C’est les mêmes types qui crient au scandale parce que les travailleurs veulent plus de 0,4 % qui empochent eux-mêmes 14%. Où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir comme on dit.
« On ne sera plus compétitif par rapport aux autres pays si on augmente les salaires », nous disent les partis de droite du MR à la N-VA. C’est le même argument qu’on nous bassine depuis 200 ans. Franchement, si les pionniers du mouvement ouvrier avaient accepté cet argument lorsqu’ils voulaient sortir les enfants des mines, nos enfants y bosseraient encore. Qu’on aille chercher l’argent ailleurs que sur les salaires. Sur les bénéfices, par exemple.
L’année passée, les grandes entreprises cotées en bourse ont réalisé 21 milliards de profit. 21 milliards en une seule année. 21 avec 9 zéros derrière. Vous vous rendez compte ? Qu’ils arrêtent de dire qu’il n’y a pas de marge pour augmenter nos salaires. C’est la classe travailleuse qui crée toutes ces richesses, pas les actionnaires. Comment les socialistes et les verts peuvent-ils encore accepter au gouvernement ce blocage salarial à 0,4 % ?
Et le Vlaams Belang à nouveau. Parlons-en. « Vlaams et social » qu’ils disent. Mais qu’ont-ils voté sur le projet de loi du gouvernement MR-NVA en 2017 pour renforcer le blocage des salaires ? Ils ont voté pour. Voilà à nouveau le vrai visage de l’extrême-droite : derrière sa démagogie et sa politique de division, elle est simplement au service du grand patronat.
Les syndicats ont raison de taper du poing sur la table. Les près de 90 000 signatures qu’ils ont récoltées en quelques semaines en front commun dans tout le pays pour la révision de la loi de 1996 montre l’ampleur du soutien à cette revendication. Avec feu mon camarade Marc Goblet, nous avons déposé au Parlement une proposition de loi pour en finir avec ce blocage salarial. Il est temps que cela bouge, il est temps qu’on la vote cette proposition. Les organisations syndicales appellent à une grande manifestation nationale le 20 juin dans les rues de Bruxelles pour la révision de cette loi. Nous allons tout faire pour les aider dans ce combat.
Le pain et la paix
La guerre criminelle de Poutine en Ukraine dure depuis plus de deux mois maintenant. Et elle n’y a toujours pas de perspective qu'elle prenne fin de sitôt. Aujourd'hui, les voix qu’on entend le plus sont celles de ceux qui veulent mettre de l’huile sur le feu. Ceux qui veulent ajouter de la guerre à la guerre. Mais que les choses soient claires : ceux qui souhaitent une escalade du conflit jouent avec le feu d'une guerre nucléaire dévastatrice.
Toute guerre se termine soit par la défaite totale d'un camp, soit par un accord de paix négocié. Comme l'a dit Jeremy Corbyn, militant pacifiste et syndicaliste de longue date, pourquoi ne pas arrêter avec l’étape du combat et passer directement à l’étape de la discussion ?
J’ai déjà parlé des profiteurs de guerre. Le capitalisme et la guerre sont intimement liés. Que ce soit en 2022 ou avant, la chasse du profit et les intérêts économiques – le pétrole, le gaz… – ont toujours été le moteur des guerres. Comme Jean Jaurès, le leader socialiste français assassiné juste avant la guerre de 14-18, le disait très bien, « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ». Cela vaut évidemment pour les oligarques russes qui soutiennent Poutine dans sa guerre criminelle contre l’Ukraine. Mais ça vaut aussi pour les autres impérialismes. Vous croyez quoi, que Joe Biden et co viennent nous vendre leur gaz de schiste par charité, pour notre bien ? Les États-Unis d’Amérique ne sont pas une ASBL. Ils vont se faire un max de fric en nous vendant leur gaz de schiste hyper polluant. L’explosion des dépenses militaires cʼest tout profit pour les marchands de canon. Et pendant que certains profitent de la guerre, d’autres en paient durement les conséquences. En Ukraine évidemment en premier lieu, mais aussi ailleurs dans le monde où l’explosion des prix de l’énergie mais aussi des prix de l’alimentation provoquent des crises et sans doute demain des famines, comme au Soudan et en Somalie.
Le pain et la paix. C’est un mot d’ordre historique du mouvement ouvrier. A l’image des femmes de Saint-Pétersbourg qui ont manifesté sous ce mot d’ordre le 8 mars 1917. Elles provoquèrent la chute de l’autocratie des Tsars de Russie et contribuèrent au mouvement qui a mis fin à la boucherie de la Première Guerre mondiale. C’est aussi un mot d’ordre du Front populaire dans les années 1930 quand il luttait contre les conséquences de la crise et la montée du fascisme. Aujourd’hui, encore la classe travailleuse a un rôle essentiel à jouer dans la bataille pour la paix. Aujourd’hui encore, nous luttons pour le pain et la paix face à la misère et la guerre dans laquelle nous entraîne le capitalisme.
Espoir
Camarades, les contradictions du système s’aiguisent de plus en plus. Qu’il s’agisse du climat, de la guerre ou des inégalités sociales, les travailleurs comme la jeunesse cherchent une alternative à cette société du profit à tout prix. Nous portons avec notre parti une responsabilité importante pour donner une perspective d’espoir dans les combats à venir.
Face à nous il y a deux blocs. Le bloc des partis traditionnels qui défendent le statu quo libéral. Mais aussi le bloc nationaliste de la haine, avec les partis de la droite extrême et de l’extrême-droite au Nord du pays.
On voit la même chose partout en Europe, et encore récemment en France. Le bloc nationaliste se présente comme une alternative, mais ce n’est pas le cas. Leur rôle est de conforter le système et diviser la classe travailleuse pour mieux régner. Ils veulent la diviser entre nord et sud, entre les gens d’origines différentes, entre les travailleurs avec et sans emplois. Ces partis – comme le Vlaams Belang ici ou le FN en France – s’opposent à l’imposition des grandes fortunes et votent pour le blocage des salaires, mais ils tentent de nous faire croire que c’est à cause des Wallons, des chômeurs ou des immigrés que nous avons trop peu. Ils propagent la division car ils savent que l’unité est la force de classe travailleuse.
La tradition du 1er Mai, de l'Internationale, de la gauche, c’est que les travailleurs de tous les pays s’unissent, sans faire de différence, quelque soit leur origine, leur couleur ou leur religion. À Molenbeek comme ailleurs. Car ce sont des travailleurs de toutes les origines qui produisent les richesses de ce pays, qui construisent les métros (encore maintenant, à quelques mètres d’ici), qui nettoient les rues, qui soignent, qui enseignent. C'est une valeur centrale de notre socialisme 2.0 que nous défendons et celui qui s'en écarte ne travaille pas à l’émancipation du monde du travail.
Nous sommes la force de l’espoir. Nous montrons qu’il est possible d’avoir une alternative de gauche qui monte au Nord comme au Sud du pays. On l’a vu aussi en France avec la gauche authentique qui est venue bousculer le match entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Quand la gauche a un message clair et sans compromission, elle peut reprendre des couleurs. Elle peut enthousiasmer la jeunesse et mobiliser des larges couches de la classe travailleuse. C’est aussi ce que nous faisons ici en Belgique, en Flandre, en Wallonie et ici à Bruxelles.
En face de nous, il y a le monde de la finance et des grandes entreprises. Mais avec nous, nous avons potentiellement des millions de personnes. Faisons en sorte que cet espoir se réalise.
Bon 1er Mai à tous et toutes.